Trouble obsessionnel-compulsif et « La peur de la peur elle-même »
“Donc, tout d’abord, permettez-moi d’affirmer ma ferme conviction que la seule chose que nous ayons à craindre est la peur elle-même.”
La célèbre phrase de Franklin Roosevelt, tirée de son premier discours inaugural m’a réellement frappée comme étant une vérité universelle. Il y décrit la peur comme « une terreur sans nom, irraisonnée et injustifiée qui anéantit les efforts nécessaires pour convertir une retraite en progression ». J’interprète cette citation comme un appel à être courageux, à vivre pleinement sa vie, à tirer le meilleur parti d’une situation difficile, et se faisant, à s’en compter chanceux. L’encouragement et le sens de la bravade inhérents au discours de Roosevelt touche toujours une corde sensible en moi.
J’ai parfois traduit ce message en moi-même en disant à ma peur « d’aller se faire f***** ». Tout en trouvant écho dans mon côté rebelle, cette phrase me permettait surtout de considérer la peur comme quelque chose qui devrait être éliminée ou au moins supprimée. Et puis je suis devenue thérapeute et j’ai commencé à me spécialiser dans le traitement de l’anxiété et en particulier du trouble obsessionnel-compulsif. J’ai été attirée par le travail sur les TOC lorsque j’ai réalisé au cours de ma formation, que j’avais moi-même commencé à lutter contre les TOC quand j’étais enfant, mais que je l’avais caché à mes parents et que je n’avais donc jamais reçu d’aide. Tout comme le cycle obsessionnel de « pensées anxieuses / pensées soulageant les précédentes mais tout en étant pénible en même temps », les compulsions m’avaient accompagnée à travers tout l’âge adulte. Et tout à coup, l’avertissement de Roosevelt concernant la peur prenait un sens différent.
La peur de la peur elle-même est au cœur du fonctionnement vicieux du TOC. Pour la plupart des personnes qui vivent avec un TOC, une pensée ou une image plutôt aléatoire et indésirable surgit encore et encore et crée de l’anxiété. « Et si mes parents mourraient ». « Je ne suis pas sûre d’avoir éteint les plaques, ça risque de prendre feu ». « J’ai peur d’avoir poussé quelqu’un sous le métro ». « Mes mains ne sont pas parfaitement propres → j’ai attrapé une maladie → je vais mourir ».
Les pensées des TOC apparaissent sous diverses formes, qu’elles soient violentes, sexuelles, superstitieuses, moralistes et aléatoires et sous d’autres formes encore toujours plus étranges. La recherche montre que 90 % des personnes ont des pensées de type TOC, mais seulement 2 % des personnes développent des TOC allant jusqu’au diagnostic pathologique (ce qui reste un nombre important de personnes). Les personnes qui ne souffrent pas de TOC sont capables de reconnaitre ces pensées et de les chasser, alors que les personnes souffrant de TOC ne peuvent pas s’en débarrasser et vivent alors l’anxiété, le désespoir et la peur que ces pensées engendrent. Ces pensées deviennent alors la vérité, elles prédisent le futur, appartiennent à la réalité. « j’ai une pensée aléatoire où je me vois étrangler un bébé, donc ça doit vouloir dire que je risque de le faire ». C’est difficile d’imaginer comment ce raisonnement intérieur tenant en une simple ligne peut pourtant générer une telle terreur et faire vivre un véritable enfer à un jeune parent qui souffre de TOC.
Les compulsions sont alors des efforts pour neutraliser ces pensées et soulager les peurs qu’elles arrivent à créer. « Si je vérifie les plaques électriques juste une fois de plus (ou dix, ou vingt, etc), au moins je serai sure qu’il n’y aura pas d’incendie ». « Si je reste à l’écart de mon bébé, il sera en sécurité ». « Je fais une rapide prière, et ma mère ne mourra pas ». Et voilà comment les compulsions se font leur propre chemin. Ce n’est jamais assez, les obsessions continuent de surgir, la peur est juste derrière, et une autre compulsion arrive.
Si on observe les TOC sous la perspective des théories de l’apprentissage, les compulsions fonctionnent comme une réponse qui s’installe par renforcement négatif face à la peur. Cela signifie qu’elles vont éliminer momentanément l’angoisse, et le cerveau est donc entrainé à les conserver. La peur dans sa fonction naturelle est une émotion qui nécessite une réponse immédiate. Il existe trois réactions face au danger : Combattre, fuir ou se figer. Dans les TOC la compulsion enseigne au cerveau qu’il y a un danger, puisque si ce n’était pas le cas il n’y aurait pas eu besoin de combattre par une compulsion. C’est un cercle vicieux.
Dans ce contexte, l’idée que la peur est quelque chose dont il faut avoir peur devient réellement problématique. Cela nous dit que l’angoisse est intolérable, qu’elle ne devrait pas être là car nous n’arrivons pas à la gérer. Et quand on parle des TOC, c’est exactement de ça qu’il s’agit.
Le traitement le plus efficace contre les TOC, l’exposition avec prévention de la réponse (EPR) implique des expositions aux émotions que les compulsions sont censées éliminer. L’ « évitement expérientiel » est au cœur du cycle des TOC. Un traitement mené avec succès aide donc la personne à expérimenter l’angoisse, l’incertitude, l’inconfort, la détresse, et à apprendre qu’elle peut tolérer ces émotions et continuer à vivre comme si de rien n’était sans s’engager dans des compulsions. Les pratiques de pleine conscience nous aident à reconnaître les pensées obsessionnelles sans les interpréter comme le reflet d’un réel danger. Une belle image utilisée dans la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) est celle du soi en tant que ciel, avec des pensées et des sentiments en tant qu’événements se produisant dans le ciel : des feux d’artifice, des nuages, des avions, des ballons, des cerfs-volants, etc. Ces événements ne changent pas fondamentalement le ciel, ils passent, et s’en vont…
La pleine conscience peut également nous aider à apprendre à nous recentrer lorsqu’une pensée est particulièrement envahissante et pénible. Nous devenons capables d’accepter et d’expérimenter qu’une pensée n’est qu’une pensée, et que ce n’est pas un reflet de qui nous sommes, ni de ce qui va se passer dans nos vies. Ensuite, nous pouvons développer la flexibilité psychologique pour voir cette pensée comme l’événement mental temporaire, et souvent aléatoire, qu’elle est en réalité. À ce moment-là alors, nous pouvons plutôt nous engager dans une pensée ou une activité plus utile et bienveillante et qui, pour utiliser les mots du FDR, peut « convertir une retraite en progression». Nous pouvons avancer vers nos objectifs en accord avec nos valeurs.
L’anxiété et la peur sont des compagnons naturels lorsque nous nous engageons pleinement dans la vie avec courage. Nous n’avons pas à craindre la peur lorsque nous savons que nous pouvons la tolérer, et idéalement même canaliser l’énergie que ces sentiments fournissent, pour nous propulser vers l’avant. Alors, au lieu de dire à la peur d’aller se faire « F *****», un nouveau mantra peut être « Ose avoir peur ! »
Notes de la traductrice :
¹ Il y a 5 grandes théories de l’apprentissage et je pense qu’elle veut parler ici de l’une d’elle qui est le behaviorisme
² Le renforcement négatif dans la théorie du behaviorisme consiste à encourager un comportement en éliminant un stimuli négatif suite à ce comportement. Exemple : si un enfant se brule avec l’eau trop chaude du robinet, il demande à l’adulte de lui remettre l’eau froide, l’enfant arrête alors de se bruler les doigts. Le comportement « demander de l’aide à l’adulte » est renforcé car il lui permet d’échapper à un événement non désirable « la brulure ». Dans les TOC le omportement « compulsion » est renforcé car il permet d’éviter l’événement indésirable « peur et anxiété ».