Au-delà du Baby-Blues : le Trouble Obsessionnel et Compulsif Périnatal
Ces dernières années, la santé mentale pendant la grossesse et la période postnatale a fait l’objet d’une attention accrue. Cette attention s’explique notamment par un certain nombre de cas très médiatisés dans lesquels des parents souffrant de dépression ou de psychose post-partum ont fini par réellement nuire à leurs enfants. Une autre raison importante de s’intéresser à ces problèmes est que nous apprenons comment la santé (mentale) de la mère peut affecter négativement le lien mère-enfant et le développement de l’enfant. Lorsque la mère n’est pas en bonne santé émotionnelle pendant la grossesse et après l’accouchement, les risques de problèmes tels que l’insuffisance pondérale à la naissance, les troubles de l’attention et les difficultés à apaiser le bébé, sont accrus. Mais, alors que la dépression et la psychose post-partum font généralement la une des journaux, nous apprenons maintenant que les troubles anxieux, en particulier le trouble obsessionnel et compulsif (TOC), touchent également de nombreuses nouvelles et futures mères. De plus, les TOC et autres troubles anxieux périnataux (c’est-à-dire “autour de l’accouchement”) peuvent également entraîner les types de conséquences négatives mentionnées ci-dessus. Compte tenu des effets négatifs potentiels du trouble obsessionnel et compulsif périnatal et du fait que ce problème n’est pas bien compris par les patients et les professionnels, il est facile de voir l’importance d’en savoir plus sur ce trouble et sur la manière de le gérer le plus efficacement possible. Mon groupe de recherche à la clinique Mayo, et maintenant à l’Université de Caroline du Nord, a mené plusieurs études sur le TOC périnatal et a traité de nombreuses personnes atteintes de ce problème. L’objectif de cet article est de discuter a/ de ce que nous savons actuellement du TOC périnatal, b/ de ses causes potentielles, et c/ des traitements efficaces.
Que savons-nous du TOC périnatal ?
Bien qu’il n’existe pas d’études à grande échelle sur l’incidence globale des TOC dans le post-partum, nous savons, grâce à plusieurs petites études, qu’un pourcentage surprenamment élevé de femmes souffrant de TOC attribuent l’apparition ou l’aggravation de leurs symptômes à la grossesse ou au post-partum. En fait, parmi les patientes atteintes de TOC qui ont accouché, la grossesse et l’accouchement sont les plus souvent cités comme éléments déclencheurs de l’apparition des TOC. Pourtant, les recherches suggèrent que le TOC périnatal est assez rare, touchant probablement entre 1 et 3 % des femmes enceintes.
Contrairement au TOC non périnatal, la variante périnatale se manifeste généralement rapidement, parfois dans la semaine qui suit l’accouchement. Les recherches indiquent également que le trouble obsessionnel et compulsif périnatal implique le plus souvent des obsessions effrayantes liées à toute sorte de maux qui pourraient s’abattre sur le nouveau-né (différentes des obsessions liées à la contamination, aux erreurs de paperasse, à l’ordre et à la symétrie, et à l’accumulation). Dans certains cas, les personnes concernées font état d’obsessions liées à des nuisances accidentelles, tandis que dans d’autres, les obsessions impliquent des pensées indésirables ou des idées de douleurs intentionnelles infligées au nouveau-né. Voici quelques exemples des types d’obsessions post-partum rencontrées dans notre clinique :
- La pensée que le bébé puisse mourir dans son sommeil (syndrome de mort subite du nourrisson).
- La pensée de laisser tomber le bébé d’un endroit élevé.
- La pensée de mettre le bébé dans le micro-ondes.
- L’image du bébé mort.
- Des pensées que le bébé pourrait s’étrangler et être dans l’impossibilité de le sauver.
- Des impulsions non désirées de secouer le bébé pour voir ce qui se passerait.
- Des pensées de crier sur le bébé.
- Des pensées d’appuyer fortement sur la fontanelle du bébé.
- La pensée de poignarder le bébé.
- Des pensées de noyer le bébé pendant le bain.
Les rituels compulsifs des mères atteintes d’un TOC périnatal consistent à vérifier souvent par exemple pendant la nuit, que le bébé est toujours en vie. Les nouveaux parents atteints d’un trouble obsessionnel et compulsif signalent également des compulsions mentales, comme prier encore et encore pour conjurer un désastre. Enfin, de nombreuses personnes souffrant de TOC périnatal essaient de se rassurer, notamment en recherchant leurs symptômes sur Internet et en demandant aux autres s’il est “normal” d’avoir de mauvaises pensées au sujet du bébé. L’évitement est également un problème. J’ai travaillé avec de nombreuses nouvelles mères qui ont peur de rester seules avec leur nouveau-né, en craignant de voir leurs pensées violentes se réaliser.
Mais, fait intéressant, nos recherches indiquent que jusqu’à 80 % de toutes les nouvelles mères (même celles qui ne présentent pas de symptômes cliniques de TOC) font état de pensées méchantes, insensées, inacceptables et non désirées, semblables à celles décrites par les mères souffrant de TOC périnatal (voir ci-dessus). Je le répète : la plupart des nouveaux parents éprouvent des pensées négatives indésirables au sujet de leurs nouveau-nés – le même genre de pensées que les mères souffrant de TOC périnatal. J’y reviendrai plus tard, car cette découverte importante a des répercussions majeures sur la façon dont nous comprenons le trouble obsessionnel et compulsif périnatal.
Qu’en est-il de la psychose post-partum ?
De nombreuses femmes souffrant d’un trouble obsessionnel et compulsif périnatal craignent de passer de l’idée à l’acte de violence ou que leurs pensées signifient qu’elles ne sont pas aptes à être parents. “Et s’il m’arrivait de noyer mes enfants comme l’a fait cette femme aux informations ?” “Quel genre de parent pense à des choses aussi terribles ? Je suis sûrement en train de perdre la tête !”
Ce qui alimente ces peurs, c’est le manque de compréhension des différences entre le trouble obsessionnel et compulsif périnatal et la psychose du post-partum.
Je m’explique. Tout d’abord, le TOC et la psychose peuvent tous deux impliquer des pensées étranges, bizarres et violentes. Mais les similitudes s’arrêtent là. Dans le cas du trouble obsessionnel et compulsif périnatal, la personne qui en souffre est terrifiée à l’idée de faire du mal, à tel point qu’elle est effrayée à l’idée même de faire du mal à son enfant. Les femmes atteintes de TOC périnatal résistent à leurs pensées obsessionnelles, c’est-à-dire qu’elles essaient de les écarter ou de les neutraliser par d’autres pensées ou comportements. Ces pensées semblent aller à l’encontre de toutes leurs fibres morales, contraires en tout ce quoi elles croient. Par conséquent, le risque qu’une personne atteinte d’un trouble obsessionnel et compulsif périnatal passe à l’acte suite à des obsessions de violence est extrêmement faible (on ne peut jamais dire avec une certitude absolue que les chances sont de 0 %, mais dans ce cas, c’est assez proche).
En revanche, les femmes atteintes de psychose post-partum ont tendance à vivre leurs pensées de violence de manière très différente. Les pensées de violence peuvent être perçues comme étant cohérentes avec la vision du monde de la personne. Par conséquent, ces femmes n’essaient pas de combattre ces pensées. Ces pensées font généralement partie d’un délire, c’est-à-dire d’un mode de pensée dans lequel la personne s’accroche à des croyances bizarres, comme l’idée que quelqu’un (ou le gouvernement) la poursuit, ou qu’elle a des pouvoirs magiques que les autres n’ont pas. Ainsi, les pensées visant à nuire au bébé peuvent être perçues comme “une bonne idée”. Étant donné que les personnes atteintes de troubles psychotiques agissent parfois en accord avec leurs délires, la psychose post-partum présente des risques très sérieux et nécessite souvent une hospitalisation pour assurer la sécurité de la mère et du bébé.
TOC périnatal chez les pères ?
Mes collègues et moi-même avons découvert dans un certain nombre d’études que les nouveaux pères sont également vulnérables aux symptômes du TOC. Tout d’abord, plus des deux tiers des nouveaux pères en bonne santé que nous avons étudiés ont déclaré avoir des pensées négatives effrayantes et non désirées concernant leur nouveau-né, tout comme les mères. De plus, nous avons observé un certain nombre de nouveaux pères présentant des symptômes de TOC cliniquement sévères qui auraient commencé peu après la naissance du bébé. Le trouble obsessionnel et compulsif périnatal ne semble donc pas être réservé aux nouvelles mères ! Pourquoi les pères peuvent-ils présenter des symptômes de TOC “périnatal” ? Mes collègues et moi avons élaboré une théorie que nous décrivons ci-dessous.
Quelles sont les causes du TOC périnatal ?
Deux explications principales du TOC périnatal ont été décrites dans la littérature scientifique. Je ne les passerai que brièvement en revue ici, car aucune n’est concluante.
Tout d’abord, considérons le modèle biologique. La grossesse et le post-partum étant des événements biologiques qui impliquent des fluctuations hormonales, certains experts pensent que ce sont ces fluctuations hormonales qui sont à l’origine des TOC périnataux. En particulier, les niveaux de progestérone et d’ocytocine – deux hormones qui interviennent dans la fin de la grossesse – sont en fluctuation pendant cette période. La recherche a établi un lien entre l’ocytocine en particulier et la sérotonine, un neurotransmetteur qui jouerait un rôle dans les TOC. On pense donc que des déséquilibres d’ocytocine peuvent modifier les niveaux de sérotonine chez les mères en post-partum, ce qui pourrait entraîner des TOC.
Si le modèle biologique est intéressant, il reste spéculatif car il n’a pas été bien testé. L’une de mes difficultés avec ce modèle est qu’il n’explique pas pourquoi les obsessions du trouble obsessionnel et compulsif périnatal ont tendance à porter sur le préjudice subi par le nouveau-né, plutôt que de relever de l’ordre de la contamination, de l’accumulation ou d’autres symptômes courants du trouble obsessionnel et compulsif. Il n’explique pas pourquoi presque toutes les nouvelles mères ont des pensées indésirables liées au nourrisson, mais que seules certaines développent des niveaux cliniques de TOC. Mais ma critique la plus sérieuse de l’approche biologique du trouble obsessionnel et compulsif périnatal est qu’elle ne peut pas expliquer comment le trouble obsessionnel et compulsif périnatal peut se produire chez les nouveaux pères (qui ne connaissent pas les mêmes fluctuations hormonales que les femmes enceintes). Pour ces raisons, je pense que nous devons aller au-delà des explications purement biologiques du TOC périnatal.
Ma collègue, le Dr Nichole Fairbrother, et moi-même avons récemment développé un modèle psychologique de TOC périnatal. Ce modèle part de notre constat que la plupart des nouveaux parents (mères et pères) ont des pensées indésirables liées au nourrisson (ces pensées ont peut-être une signification évolutive). En d’autres termes, nous considérons ces pensées comme une partie tout à fait normale et inoffensive des premiers temps de la parentalité. Les problèmes commencent toutefois lorsqu’un nouveau parent interprète à tort ces pensées normales comme indiquant quelque chose de très important et de menaçant. Par exemple, si une nouvelle mère interprète à tort ses pensées violentes comme signifiant qu’elle est susceptible de tuer son bébé, ou un nouveau père qui interprète ses images du bébé mourant comme signifiant qu’au fond de lui, il veut que le bébé meure. Pourquoi une personne pourrait-elle interpréter à tort des pensées intrusives insensées comme étant très significatives ? Nous pensons que c’est lié à l’augmentation rapide des responsabilités – ce qui est certainement le cas lorsqu’on devient parent et qu’on assume la responsabilité de s’occuper d’un nourrisson sans défense.
Lorsque des pensées post-partum normales sont interprétées à tort comme dangereuses ou très significatives, la personne qui a ces pensées devient anxieuse et craintive. De plus, elle adopte des comportements tels que l’évitement du bébé, la recherche de réconfort, et la vérification rituelle excessive ou la prière. Tous ces comportements sont compatibles avec le fait de se sentir menacé par des pensées bouleversantes concernant son enfant. Comme ces stratégies d’évitement et de ritualisation semblent fonctionner (c’est-à-dire qu’aucun mal n’est commis), le nouveau parent continue de croire que ces stratégies ont permis d’éviter une catastrophe (alors qu’en fait, les pensées sont dénuées de sens). Par conséquent, la stratégie devient un comportement compulsif et la peur d’agir sur la pensée obsessionnelle indésirable reste intacte (elle n’est jamais réfutée). De plus, lorsque la nouvelle mère ou le nouveau père garde ses pensées négatives pour elle ou lui (“ils me mettraient à l’hôpital si je leur parlais des pensées que j’ai”), cela l’empêche d’apprendre que ces pensées sont normales (les autres les ont aussi).
Traitement du TOC périnatal
Comme pour les TOC qui surviennent en dehors de la période périnatale, le TOC périnatal répond aux médicaments utilisant des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) et à la thérapie cognitivo-comportementale (TCC). Les IRS sont des traitements efficaces du TOC, mais les risques qu’ils présentent pour l’enfant à naître et l’enfant nourri au sein ne sont pas bien connus. De nombreux experts estiment que ces médicaments ne sont probablement pas dangereux, mais il est important de discuter des risques possibles avec votre médecin au cas par cas.
Une approche thérapeutique plus sûre, mais plus difficile, est la TCC. Démontrée comme étant plus efficace que les médicaments pour le TOC non périnatal, la TCC pour les symptômes du TOC périnatal peut être décomposée comme suit :
- La première composante est l’évaluation, au cours de laquelle le thérapeute prend connaissance des spécificités des pensées obsessionnelles de la personne, des interprétations qu’elle fait de ces pensées, des situations qui déclenchent ces pensées, et de la façon dont elle réagit aux obsessions (évitement, comportement compulsif).
- La deuxième composante consiste à expliquer que les pensées négatives sont normales au moment de l’accouchement. En d’autres termes, nous expliquons au patient que tout le monde a de telles pensées, mais que le problème réside dans le fait que ces pensées sont mal interprétées, ce qui provoque de l’anxiété.
- La troisième composante du traitement est la thérapie cognitive, qui permet d’identifier et de remettre en question les interprétations erronées des pensées intrusives. Par exemple, on aide le patient à examiner les preuves à l’appui et à l’encontre de son idée que des pensées violentes amènent à agir violemment contre sa volonté.
- Enfin, la quatrième composante de la TCC est l’exposition et la prévention de la réponse (EPR). Au cours de l’EPR, le patient est aidé à affronter les situations et les pensées qui suscitent la détresse, tout en s’abstenant de comportements compulsifs. Par exemple, une nouvelle mère qui craint de baigner son fils nouveau-né en raison de pensées obsessionnelles de noyade, s’entraînera à donner un bain à son bébé pour découvrir qu’elle ne risque pas de lui faire du mal. L’EPR coupe l’herbe sous le pied des peurs obsessionnelles, car elle permet à la personne de voir que ce qu’elle craignait est beaucoup moins probable qu’elle ne le pensait.
Quelques réflexions finales
Permettez-moi de terminer par quelques mots de conclusion pour les personnes qui souffrent peut-être en silence de TOC ou d’obsessions périnatales. Tout d’abord, si vous avez peur de vos pensées ou si vous avez tellement peur de passer à l’acte en raison de vos obsessions post-partum que vous évitez certaines situations (ou essayez d’éviter certaines pensées), il y a de très fortes chances que vous souffriez d’un TOC périnatal et non d’une psychose. Par conséquent, votre risque d’agir violemment est extrêmement faible. Deuxièmement, il est important de parler à quelqu’un de vos pensées obsessionnelles afin de pouvoir obtenir de l’aide. Apportez cet article à votre médecin ou à un professionnel de la santé mentale et expliquez-lui ce que vous vivez afin qu’il puisse vous aider. Enfin, la naissance d’un nouveau bébé devrait être une période heureuse de la vie (bien qu’elle soit aussi stressante). Des traitements efficaces pour le TOC et l’anxiété périnatale sont disponibles et vous (et votre nouveau-né) méritez d’avoir la possibilité de bénéficier des avantages de ces interventions efficaces. N’ayez pas peur de vous exprimer et de demander de l’aide.
Le Dr Abramowitz est professeur de psychologie et directeur de la Clinique des troubles de l’anxiété et du stress à l’université de Caroline du Nord (UNC) à Chapel Hill.