« Tous les articles

Conduit à la Distraction : "Le TOC du Délit de Fuite"

“Docteur,” commença Don, un enseignant de 35 ans, “j’ai dit à ma femme que nous devrions vendre ma voiture parce que je ne peux tout simplement plus conduire. Chaque fois que je vais quelque part, je ne cesse de penser que je renverse des gens avec ma voiture. Ça pourrait être un joggeur, un piéton, quelqu’un à vélo, ou même un animal. Je dois m’arrêter pour sortir et vérifier si j’ai renversé quelqu’un, ou alors je dois faire vingt fois le tour du pâté de maisons. Je regarde tellement dans le rétroviseur que j’ai peur d’avoir réellement un accident. Je regarde les informations et lis le journal tous les jours pour voir s’il y a eu des accidents près des endroits où j’étais avec ma voiture. Si j’entends une sirène ou vois une voiture de police ou une ambulance, je pense qu’ils se rendent à l’endroit où j’ai tué quelqu’un. Je ne me sens jamais sûr.”

Don avait l’air de ressentir une véritable douleur physique. Il dit, en regardant principalement le sol : “Vous devez penser que je suis fou, et vous avez peut-être raison.”

Bien que ce ne soit que notre première séance, il était déjà évident que Don décrivait clairement un cas de TOC. Il existe de nombreuses variétés de TOC. Les gens ont même donné des surnoms à certains d’entre eux. Le type de Don est appelé par certains “TOC du délit de fuite.”

Il est important de comprendre que le TOC peut rendre une personne incertaine des choses les plus élémentaires qu’elle pense, voit, entend, touche ou ressent autrement. Au XIXe siècle, on l’appelait “La Maladie du Doute”. Les obsessions du délit de fuite font partie d’un sous-groupe de doutes concernant le fait d’avoir blessé d’autres personnes par négligence. Dans ce cas, il s’attaque à la conduite automobile des gens, les faisant se demander s’ils ont blessé ou renversé quelqu’un, même s’il n’y a aucune preuve réelle que cela s’est produit. Certaines situations particulières peuvent être plus difficiles que d’autres, notamment :

  • Conduire dans une rue avec beaucoup de piétons qui traversent dans les deux sens
  • Conduire sur une route mal éclairée la nuit
  • Conduire dans un parking dans lequel il y a beaucoup de mouvements de voitures et de piétons
  • Rouler sur des bosses ou des nids-de-poule
  • Rouler sur un déchet dans la rue
  • Passer sur un dos d’âne ou une portion irrégulière de la chaussée
  • Se concentrer brièvement (même pendant une seconde ou deux) sur des choses comme le tableau de bord ou le GPS plutôt que sur la route (“J’aurais pu heurter quelqu’un quand je ne faisais pas attention”)
  • Dépasser un joggeur ou un cycliste
  • Sortie à reculons d’une allée ou d’une place de parking
  • Regarder dans le rétroviseur et ne pas voir quelqu’un qu’ils pensaient avoir dépassé
  • Entendre un crissement de pneus à proximité
  • Un animal qui traverse la route devant ou derrière la voiture

Ces types de situations conduisent les personnes qui ont ce type de TOC à avoir des pensées obsessionnelles répétitives typiques telles que :

  • Comment puis-je savoir si j’ai vraiment touché quelqu’un ? Le verrais-je ? L’entendrais-je ou le sentirais-je ? Peut-être que j’ai heurté quelqu’un.
  • Comment puis-je savoir si je n’ai pas tué quelqu’un ? Le saurais-je, et comment puis-je en être certain ?
  • Si j’ai heurté quelqu’un et ne me suis pas arrêté pour prendre mes responsabilités, serai-je accusé de non assistance à personne en danger ?
  • Si j’ai autant de doutes, je devais conduire négligemment donc je suis clairement en faute si j’ai heurté quelqu’un.
  • Et si je vais en prison ? Qu’arrivera-t-il à ma famille ? Leur souffrance sera aussi de ma faute.
  • Comment pourrais-je vivre avec la culpabilité d’avoir pris une vie ? Je ne pourrais jamais me le pardonner. Ma vie serait foutue.
  • Je viens de remarquer que je n’étais peut-être pas totalement attentif ces dernières minutes en conduisant. Peut-être que cela signifie que j’ai heurté quelqu’un sans m’en rendre compte.

Naturellement, lorsqu’une personne est aussi dubitative que dans le cas des personnes souffrant de TOC, la seule solution est de trouver une certitude parfaite. Ce n’est pas facile à faire dans un monde incertain, et les personnes se donneront parfois énormement de mal pour obtenir la certitude qu’elles n’ont rien fait de mal. Avec ce perfectionnisme peut survenir une autre caractéristique du TOC : la culpabilité (comme vous pouvez le voir dans la liste des obsessions ci-dessus). Les deux peuvent ensuite entraîner des compulsions. Les compulsions sont tout ce qu’une personne fait, mentalement ou physiquement, pour se débarrasser de l’anxiété causée par les obsessions.

Voici des compulsions souvent effectuées par les personnes souffrant du TOC du délit de fuite :

  • Faire plusieurs fois le tour du pâté de maisons après être sorti d’une voie de garage pour voir si quelqu’un est allongé sur le sol à cet endroit
  • Parcourir à plusieurs reprises le même tronçon de route à la recherche de corps
  • Sortir de la voiture et vérifier dans les buissons ou sous les voitures garées le long de la route au cas où une victime y aurait été projetée
  • Vérifier constamment le rétroviseur en conduisant pour voir si quelqu’un est allongé sur la route
  • Demander aux passagers ou aux passants si quelqu’un a été heurté par l’automobiliste
  • Lire les articles de journaux du lendemain après un incident possible, à la recherche de rapports d’accidents
  • Écouter les rapports d’accidents aux informations
  • Appeler le commissariat de police local ou l’hôpital pour savoir si des accidents ont été signalés dans une zone particulière où ils ont conduit
  • Faire plusieurs fois le tour de la voiture et l’inspecter après un possible accident à la recherche de bosses, de taches de sang, etc. qui prouveraient que quelqu’un a été heurté
  • Éviter de conduire la nuit ou dans les zones fréquentées
  • Conduire très lentement
  • Passer en revue mentalement chaque moment d’un évènement qui aurait pu donner lieu à un accident pour déterminer ce qui s’est réellement passé
  • Laisser des notes sur les voiture juste au cas où elles auraient été endommagées

Il s’avère que Don avait beaucoup des inquiétudes ci-dessus et effectuait beaucoup de ces compulsions. Je lui ai expliqué qu’il n’était pas possible de fuir ni d’enlever des doutes. Essayer de ne pas penser à ces choses lui ferait y penser encore plus. Ses tentatives n’avaient pas fonctionné jusqu’à présent, et il était clair qu’elles ne fonctionneraient jamais. Je lui ai également expliqué que la seule façon de surmonter sa peur était de l’affronter — à travers la thérapie d’exposition et de prévention de la réponse (EPR) — et que c’était vrai pour de nombreuses peurs. Il m’a dit : “Je ne sais pas si c’est possible. Les pensées me semblent si réelles, et cette peur semble plus forte que moi.” Je lui ai demandé d’avoir un peu de foi en lui-même et en la méthode, qui avait fonctionné pour de nombreuses personnes dans le passé, y compris celles ayant ses symptômes.

“Si vous faites vos devoirs d’EPR et travaillez patiemment,” ai-je dit, “nous ferons en sorte que vous arriviez de nouveau à conduire.” Par chance, il était prêt à essayer, n’ayant plus d’autres options. Parce que son anxiété était si élevée, je l’ai également orienté vers un psychiatre local qui lui a prescrit un antidépresseur de type ISRS, l’Escitalopram. Le but du médicament dans ce cas était d’aider Don à avoir la volonté d’essayer la thérapie que je proposais.

Après avoir fait une liste très détaillée de toutes les obsessions et compulsions de Don, nous avons procédé à ce qu’on appelle une “hiérarchie.” Nous l’avons fait en établissant une autre liste : la liste de toutes les situations auxquelles nous pouvions penser qui étaient liées à son TOC et qui le rendaient anxieux. Il a ensuite évalué chacune de ces situations de 0 à 100 en termes d’anxiété qu’elles pouvaient potentiellement lui causer. Il avait une gamme assez large, certaines choses étant aussi basses que 10 et aussi hautes que 100 — la pire peur qu’il puisse imaginer ressentir.

Une fois cette liste complétée, nous avons commencé le travail de thérapie EPR, qui consistait à donner à Don des devoirs en commençant par les éléments les plus bas sur sa liste hiérarchique. Les devoirs impliquaient de lui faire affronter des situations qui le forceraient à confronter ses peurs de manière progressive, de passer à des situations de plus en plus difficiles. Le but était de l’aider à développer une tolérance au doute créé par ses pensées afin de réduire leur impact et ainsi, réduire l’anxiété qu’elles causaient. Le but était également d’apprendre la vérité sur ce qui se passerait quand il ne ferait pas la compulsion. De plus, cela a aidé à affaiblir les habitudes qu’il avait développées autour de ses compulsions afin qu’il puisse mieux leur résister. Ses devoirs incluaient des choses comme :

  • Sortir de son garage puis quitter son pâté de maisons sans revenir vérifier ou regarder dans son rétroviseur
  • Ne pas essayer de se faire rassurer par d’autres personnes
  • Résister à l’envie d’inspecter sa voiture après avoir conduit
  • Ne pas lire les rapports d’accidents dans les journaux
  • Ne pas appeler la police pour les interroger sur les rapports d’accidents
  • Conduire dans des rues fréquentées et des parkings sans revenir en arrière ou vérifier de quelque manière que ce soit, particulièrement la nuit
  • Ne jamais s’arrêter pour sortir de la voiture et vérifier s’il y a des corps

En plus de changer son comportement, j’ai demandé à Don d’envisager également de répondre différemment à ses obsessions dans sa tête. Par exemple :

  • S’abstenir de passer en revue mentalement les parcours qu’il avait faits en voiture, en acceptant plutôt qu’il ait pu effectivement heurter et tuer quelqu’un
  • En entendant des sirènes, accepter l’obsession que c’était des ambulances qui allaient ramasser les corps de ceux qu’il avait renversés
  • En rèle générale; accepter / être d’accord toutes les pensées selon lesquelles il avait renversé des gens ou des animaux

Et enfin; d’aller au-devant de ses obsessions pour les déclencher activement afin de les confronter en :

  • Lisant des articles sur des conducteurs en délit de fuite condamnés à de la prison
  • Regardant des vidéos de voitures renversant des gens
  • Regardant des publicités et lisant des articles sur les dangers de la conduite en étant distrait

Il a fallu huit mois de travail quotidien à Don pour finalement prendre le contrôle sur ses symptômes et conduire normalement à nouveau. Il y a eu des bons jours et des jours difficiles. Personne ne guérit parfaitement. “J’ai l’impression d’avoir retrouvé ma vie,” a dit Don. “Je suis vraiment content qu’on n’ait pas vendu cette voiture.”

Cet article m'a aidé·e

anais et Jésus ont été aidé·e·s par cet article

Vous pourriez aussi aimer